Le val libre
On ne saurait imaginer de
val plus libre que le ciel ; ici, pas de limite, toujours l’étendue
succède à l’étendue. Là, l’ivresse est légèreté, plaisir pris dans le vide,
sans pesanteur ni conséquence, dans un espace traversé par les siècles. On n’y
ressent pas sa propre finitude. Dans cet univers sans bord, quand l’air et
l’eau s’abordent et étonnent par le conflit qu’ils s’amusent à former, on
s’éprend même de n’être presque pas, quasiment plus. Assurément, le ciel est
fait de songes, des rêves de la terre.
Il naît une fatigue,
pourtant. Ce rêve coûte, coupe les ailes à force ; les frissons d’une
grêle traversée dans une terreur si soudaine qu’on y croit plus qu’à peine une
fois le grain dépassé ; l’or d’un nuage égrené des constellations irisées
d’un crachin insidieux, chafouin, écrasant ses échardes chagrines sous l’échine
des plumes ; le paysage toujours semblable de gigantesques royaumes de gaz
mis à nu, développant d’ultimes variations fugitives mais qu’on voudrait
pérennes… Bientôt l’altitude devient totalité trop étale, et le poids devient
salut. Il est temps de quitter les libres heures d’envol.
Dans l’usage de la liberté
du ciel, s’adonner au repos reste une étape indispensable. Depuis cet univers
où l’infini pèse tant dans la balance du temps, des reflets colportent le sens
en indiquant « l’en-bas ». Le val libre est aussi ce salut, cet îlot
d’accueil, que nous espérons tous dans ces heures engourdies. Nous visons cet
œil vaste, presque rond, agrémenté de trois ou quatre prunelles d’un sol
miraculeux. Aux camarades de vol s’ajoutent d’autres envieux, lassés d’avoir vu
trop d’horizons toujours fuyants, hébétés d’au-delàs réinventés sans cesse. Le
petit peuple du ras de terre s’annonce et piaille à notre approche, et prétend
une fois de plus détenir la priorité sur ce territoire de transit. Usez-en,
petit peuple ! Nous sommes les migrants qui jamais ne s’installent au nid
de vos valeurs de si peu d’envergure…
Cette fois-ci, l’approche du
val libre s’est accompagnée d’un bourdonnement, lointain, diffus tout d’abord,
puis qui se fait vaste comme l’immensité qui l’abrite. Nous amorçons la chute,
mais dans notre sillage surgit une chose si contraire aux lois du ciel –
rugissement, pierre et feu – que l’on croirait qu’un orage s’adonne à une chasse
vengeresse, et s’acharne à nous terrasser au moment d’atterrir. Ce n’est pas un
orage, il ne s’agit pas de cela. C’est une bête, faite comme d’une seule pièce,
rigide, pesante et gigantesque. Le danger est tangible, nous rattrape. Nous
sentons sur chacun de nos corps la vibration de mort qui s’ensuivra si nous ne
nous hâtons pas. Pris de panique, ceux de queue de cortège quittent la
formation, élargissent et menacent notre équilibre à tous – c’est la fin,
l’heure du chacun pour soi. Dans le désespoir, le sol perd ses atours de salut.
A quoi bon le val libre si doit s’y abîmer après nous, derrière nous, à nos
trousses, l’énorme oiseau luisant des feux mêmes du Soleil ?
Nous plongeons, nous
piquons. L’énorme prédateur, lui, stabilise son vol, roussissant les ailes de
nos retardataires ; et l’un de nous tombe, rôti, comme une pierre de
viande aux plumes comme des flammes. Il tombe au cœur même du val libre s’ouvrant
à nous, salvateur comme toujours ; à notre effarement répond le petit
peuple fanfaron, moqueur, de la plage aux sables bleus. Délaissant les blessés
la bête passe dans un ultime rugissement, sans prendre son tribu : nos
camarades tombés, abandonnés là, dans une mort qui n’aura servi à rien.
Juste un peu plus loin, l’énorme
bête aborde sa propre aire de repos, son propre val libre, vaste comme le lit
doré du Rhin quand il crépite sous le crépuscule des dieux barbares. Feu et
mort. Pierre, rudesse d’un sol armé. Territoire d’autres monstres à elle
semblables, se croisant selon les plans complexes de leurs envols déchirant les
lois mêmes du ciel.
Nos territoires se jaugent,
se toisent comme chiens de faïence. Ici, c’est un Eden, un lac tendu comme un
miroir au ciel. Là-bas, c’est une conquête, une prise de guerre, un affront qui
projette le lourd hors du sentier glébeux des origines. Chacun y tient sa
place, mais nous savons, en évaluant les survivants, que cela ne durera pas.
Ces bêtes-là ne se contentent pas de territoires, ni d’emprunter au ciel des
voies inexplorées. Partout comme chez elles ; arrogantes de
puissance ; ivres de leurs propres essences ; faiseuses de leurs
propres lois. Sans souci de nous autres migrants obligés, n’ayant nul autre
choix que celui de refaire le chemin des rituels de survie.
De quelle supériorité
sommes-nous devenus les proies ? Nous ne saurions imaginer plus grand
bienfait que le val libre qu’est le ciel. Notre désir y réside – mais nos rêves
sont bridés.
Orly/Valenton
– Mars 2016
Balade littéraire : "PAYSAGES, PAYS SAGES" - Par la Compagnie Simagine
Dimanche 05 juin 2016 - Départ à 16h
Départ devant la Bibliothèque municipale
Espace Julien Duranton, Place Paul Vaillant-Couturier - 94460 Valenton
Balade littéraire : "PAYSAGES, PAYS SAGES" - Par la Compagnie Simagine
Dimanche 05 juin 2016 - Départ à 16h
Départ devant la Bibliothèque municipale
Espace Julien Duranton, Place Paul Vaillant-Couturier - 94460 Valenton
Gratuit - Réservation auprès du service culturel : 01 43 86 37 60
NOTES :
La commune de Valenton s'est appelée "Le val libre" sous la Révolution Française.
Dans cette commune, le parc de la plage bleue y est l'un des endroits privilégié de nombreuses espèces d'oiseaux migrateurs, malgré sa situation à quelques encablures de l'aéroport d'Orly.