En guise de présentation


Les Editions Inedits ont pour vocation l'inventaire des ouvrages qui n'existent pas, mais qui pourtant ont ou ont eu une influence sur la littérature. Le "Nécronomicon" bien connu des lecteurs de Lovecraft en est un exemple. "Le roi en jaune" en est un autre, Kilgore Trout est un auteur parfaitement inédiste, et ces pages leur rendent hommage tant que faire se peut....
Par ailleurs, plutôt que se perdre dans les méandres de la virtualité, nous vous proposons ici de découvrir notre activité concrète (littéraire et théâtrale).

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vendredi 20 mai 2016

Le val libre

Produit pour la Compagnie Simagine, dans le cadre de lectures effectuées le 05 juin 2016 au sein de la ville de Valenton (94), ce texte est issu de réflexions sur la confrontation d'univers divergents, ici le règne animal et l'industrie aéronautique.


Le val libre

On ne saurait imaginer de val plus libre que le ciel ; ici, pas de limite, toujours l’étendue succède à l’étendue. Là, l’ivresse est légèreté, plaisir pris dans le vide, sans pesanteur ni conséquence, dans un espace traversé par les siècles. On n’y ressent pas sa propre finitude. Dans cet univers sans bord, quand l’air et l’eau s’abordent et étonnent par le conflit qu’ils s’amusent à former, on s’éprend même de n’être presque pas, quasiment plus. Assurément, le ciel est fait de songes, des rêves de la terre.

Il naît une fatigue, pourtant. Ce rêve coûte, coupe les ailes à force ; les frissons d’une grêle traversée dans une terreur si soudaine qu’on y croit plus qu’à peine une fois le grain dépassé ; l’or d’un nuage égrené des constellations irisées d’un crachin insidieux, chafouin, écrasant ses échardes chagrines sous l’échine des plumes ; le paysage toujours semblable de gigantesques royaumes de gaz mis à nu, développant d’ultimes variations fugitives mais qu’on voudrait pérennes… Bientôt l’altitude devient totalité trop étale, et le poids devient salut. Il est temps de quitter les libres heures d’envol.

Dans l’usage de la liberté du ciel, s’adonner au repos reste une étape indispensable. Depuis cet univers où l’infini pèse tant dans la balance du temps, des reflets colportent le sens en indiquant « l’en-bas ». Le val libre est aussi ce salut, cet îlot d’accueil, que nous espérons tous dans ces heures engourdies. Nous visons cet œil vaste, presque rond, agrémenté de trois ou quatre prunelles d’un sol miraculeux. Aux camarades de vol s’ajoutent d’autres envieux, lassés d’avoir vu trop d’horizons toujours fuyants, hébétés d’au-delàs réinventés sans cesse. Le petit peuple du ras de terre s’annonce et piaille à notre approche, et prétend une fois de plus détenir la priorité sur ce territoire de transit. Usez-en, petit peuple ! Nous sommes les migrants qui jamais ne s’installent au nid de vos valeurs de si peu d’envergure…

Cette fois-ci, l’approche du val libre s’est accompagnée d’un bourdonnement, lointain, diffus tout d’abord, puis qui se fait vaste comme l’immensité qui l’abrite. Nous amorçons la chute, mais dans notre sillage surgit une chose si contraire aux lois du ciel – rugissement, pierre et feu – que l’on croirait qu’un orage s’adonne à une chasse vengeresse, et s’acharne à nous terrasser au moment d’atterrir. Ce n’est pas un orage, il ne s’agit pas de cela. C’est une bête, faite comme d’une seule pièce, rigide, pesante et gigantesque. Le danger est tangible, nous rattrape. Nous sentons sur chacun de nos corps la vibration de mort qui s’ensuivra si nous ne nous hâtons pas. Pris de panique, ceux de queue de cortège quittent la formation, élargissent et menacent notre équilibre à tous – c’est la fin, l’heure du chacun pour soi. Dans le désespoir, le sol perd ses atours de salut. A quoi bon le val libre si doit s’y abîmer après nous, derrière nous, à nos trousses, l’énorme oiseau luisant des feux mêmes du Soleil ?
Nous plongeons, nous piquons. L’énorme prédateur, lui, stabilise son vol, roussissant les ailes de nos retardataires ; et l’un de nous tombe, rôti, comme une pierre de viande aux plumes comme des flammes. Il tombe au cœur même du val libre s’ouvrant à nous, salvateur comme toujours ; à notre effarement répond le petit peuple fanfaron, moqueur, de la plage aux sables bleus. Délaissant les blessés la bête passe dans un ultime rugissement, sans prendre son tribu : nos camarades tombés, abandonnés là, dans une mort qui n’aura servi à rien.

Juste un peu plus loin, l’énorme bête aborde sa propre aire de repos, son propre val libre, vaste comme le lit doré du Rhin quand il crépite sous le crépuscule des dieux barbares. Feu et mort. Pierre, rudesse d’un sol armé. Territoire d’autres monstres à elle semblables, se croisant selon les plans complexes de leurs envols déchirant les lois mêmes du ciel.
Nos territoires se jaugent, se toisent comme chiens de faïence. Ici, c’est un Eden, un lac tendu comme un miroir au ciel. Là-bas, c’est une conquête, une prise de guerre, un affront qui projette le lourd hors du sentier glébeux des origines. Chacun y tient sa place, mais nous savons, en évaluant les survivants, que cela ne durera pas. Ces bêtes-là ne se contentent pas de territoires, ni d’emprunter au ciel des voies inexplorées. Partout comme chez elles ; arrogantes de puissance ; ivres de leurs propres essences ; faiseuses de leurs propres lois. Sans souci de nous autres migrants obligés, n’ayant nul autre choix que celui de refaire le chemin des rituels de survie.
De quelle supériorité sommes-nous devenus les proies ? Nous ne saurions imaginer plus grand bienfait que le val libre qu’est le ciel. Notre désir y réside – mais nos rêves sont bridés.


Orly/Valenton – Mars 2016


 


Balade littéraire : "PAYSAGES, PAYS SAGES" - Par la Compagnie Simagine
Dimanche 05 juin 2016 - Départ à 16h
Départ devant la Bibliothèque municipale
Espace Julien Duranton, Place Paul Vaillant-Couturier - 94460 Valenton
Gratuit - Réservation auprès du service culturel : 01 43 86 37 60

NOTES :
La commune de Valenton s'est appelée "Le val libre" sous la Révolution Française.
Dans cette commune, le parc de la plage bleue y est l'un des endroits privilégié de nombreuses espèces d'oiseaux migrateurs, malgré sa situation à quelques encablures de l'aéroport d'Orly.

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