3) Autopsie du "Roi en Jaune" (suite...)
b) Les effets de la lecture du « Roi en jaune ».
Les différentes nouvelles vont jouer plus ou moins habilement avec les circonstances de cette lecture. Dans « Cour du Dragon », on ne sait rien de celles-ci :
« J’étais usé par trois nuits de souffrance physique et de troubles mentaux : la dernière ayant été la pire, et c’était un corps extenué, et un esprit engourdi et fragile, que je traînais en cure jusqu’à ma paroisse. Car je venais de lire « Le Roi en jaune ». (Cour du Dragon – traduction originale)
Deux autres cas relèvent du hasard, les narrateurs respectifs du « Signe jaune » et du « Masque » tombent sur la pièce maudite en piochant au hasard (?) parmi d’autres livres.
« J’étais sur le point de retourner à la salle à manger lorsque mes yeux tombèrent sur un ouvrage relié en jaune dans le coin le plus haut des rayonnages. Je ne m’en rappelait pas et d’en bas je ne pouvais pas déchiffrer les lettres pales du titre, j’allai au fumoir où j’appelais Tessie. Elle arriva de l’atelier et grimpa pour atteindre le livre. « Qu’est-ce que c’est ? » demandai-je. « Le Roi en jaune ». J’étais abasourdi. Qui l’avait placé là ? Comment était-il arrivé chez moi ? (…) J’observais la couverture jaune comme s’il s’agissait d’un serpent venimeux. « Ne le touche pas, Tessie, » dis-je. « Descend. » Bien entendu mon avertissement suffit à éveiller sa curiosité, et avant que je ne puisse l’en empêcher, elle emporta le livre et dansa avec lui en riant dans tout l’atelier. Je l’appelais, mais elle s’échappa de mes mains impuissantes avec un sourire persécuteur, et je ne pus que la poursuivre avec quelque impatience. « Tessie ! » m’écriai-je en entrant dans la bibliothèque, « Ecoute, je suis sérieux. Débarrasse-toi de ce livre. Je ne souhaite pas que tu l’ouvres. » (…) Je ne la découvris qu’une demi-heure plus tard, prostrée, pâle et silencieuse sous la fenêtre treillissée de la réserve. Du premier coup d’œil, je compris qu’elle avait été punie de sa bêtise. « Le Roi en jaune »gisait à ses pieds, ouvert au deuxième acte. En voyant Tessie je sus qu’il était trop tard. Elle avait ouvert « Le Roi en jaune ».Je la pris alors par la main et la mena dans l’atelier. Elle avait l’air hébété, et quand je lui dit de s’étendre sur le sofa elle m’obéit sans mot dire. Après quelques temps elle ferma les yeux et sa respiration devînt profonde et régulière, mais je ne pus déterminer si elle dormait ou non. Je m’assis silencieusement à ses côtés pour un long moment, mais elle ne parla pas ni ne fit aucun bruit, alors je me levai et pénétrai dans la réserve inusitée pour m’emparer du livre jaune (…) Il semblait lourd comme du plomb, mais je le rapportais à l’atelier et m’assis sur le tapis près du sofa, pour l’ouvrir et le lire du début à la fin. Quand, terrassé par l’excès d’émotions, je lâchai le volume et m’appuyai lourdement contre le sofa, Tessie ouvrit les yeux et me fixa." ( Le signe jaune– traduction originale)
Une couverture jaune, un deuxième acte à la pièce. L’extrait suivant nous offre encore quelques éléments supplémentaires sur la pièce :
« Me saisissant d’un livre au hasard, je m’installais à l’atelier pour lire. Pour mon malheur, je venais de trouver « Le Roi en Jaune ». (…) La dernière chose dont je me souvienne avec distinction était la voix de Jack demandant : « Par le Ciel, docteur, qu’est-ce qui l’afflige ainsi, pour qu’il ait un tel visage ? » et je pensai alors au Roi en Jaune et au Masque Blême. (…) Je vis alors le Lac de Hali, étroit et vierge de toute ondulation que le vent aurait pu remuer, et je vis les tours de Carcosaderrière la lune. Aldebaran, les Hyades, Alar, Hastur, glissant à travers les nuées qui battaient et claquaient tels les guenilles du Roi en Jaune. » (Le masque, traduction originale).
Voici nommé le masque dont ne peut s’affranchir l’étranger : le masque blême (« Pallid mask »). Est-ce de faire porter ce masque que menace le Roi en Jaune lorsque Cassilda s’écrie « Pas sur nous, ô Roi » ? Dans cette nouvelle, ce masque est avant tout celui allégorique qu’arbore un narrateur au plus profond d’une dépression nerveuse ; le masque d’une non-vie, mais pas encore celui d’un mort.
Voici aussi poétiquement définie l’infinie distance qui nous sépare de Carcosa, dont les tours s’élèvent derrière la Lune, et nommé tout autant le lac qui semble border Carcosa : le Lac de Hali, reprenant là encore un élément de Bierce. Voici enfin cité parmi d’autres noms - ceux des constellations déjà remarquées, puis Hastur, toujours emprunté à Bierce, et Alar - lieu ou chose, rien ne nous éclaire encore à ce sujet.
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