Mon très cher Kurt.
Tu aurais donc aujourd'hui 98 ans si tu n'avais pas chuté dans les escaliers de ton appartement de Manhattan ce 11 avril 2007.Sans doute aurais-tu pu voir venir ton centenaire avec acidité ; l'époque que nous traversons te plairait sans doute énormément, toi qui faisait répéter à l'envi, dans ton dernier roman "Tremblement de temps", à ton Kilgore Trout d'avatar : "Vous avez été malades, mais vous êtes guéris à présent, et il y a du pain sur la planche."
Le pain sur la planche, certes, nous n'en manquons pas. Malades, nous ne le sommes pas tous, nous ne mourons pas tous, mais nous sommes tous frappés, pour paraphraser Jean De La Fontaine. Sommés d'attendre une improbable sortie de crise pour pouvoir nous agiter de nouveau comme avant, nous contemplons nos dégâts et voyons leur étendue poursuivre sa croissance, en la confondant cependant avec "la croissance économique", sacro saint moteur de notre foi en un système que pourtant tout dénonce comme mortifère. Question de point de vue, dirais-tu ; certains trouvent leur équilibre dans l'intoxication, et avalent des surdoses "d'opium du peuple" ou autres dogmes économiques ou sanitaires, quand d'autres poursuivent l'élaboration de leur misanthropie pour seule mature à leur navigation dans la vie et ce monde.
Notre époque est formidable en cela qu'elle donne leur place à tous ceux-là.
Souffle donc tes 98 bougies, mon ami Kurt, toi qui m'accompagne depuis tant d'années, toi dont je relis régulièrement l’œuvre (quasi) complète, rendue disponible en ma langue maternelle par les bons soins d'une poignée de traducteurs et d'éditeurs, toi dont la pensée si particulière, à la fois acide et tendre, tragi-comique, hors des sentiers battus des genres littéraires, n'a jamais cessé de m'intoxiquer jour après jour, et chacun d'eux sans jamais le regretter.Le 11 Novembre est un jour sacré en tant qu'Armistice, pas en tant que Fête des Anciens Combattants, écrivais-tu dans "Le Breakfast des champions". Et pour moi, c'est aussi le jour sacré de ta naissance en ce monde.
Marcel Trucmuche - directeur sans vanité des Éditions Inédits.