COLLECTION KILGORE TROUT N°16
Le livre traitait du thème
suivant : la «Vie» constituait une expérience tentée par le Créateur de
l'Univers ; celui-ci entendait faire l’essai d'un nouveau type de créature
qu'il projetait d'introduire dans son univers. Cette créature était dotée de la
capacité de former son propre esprit. Toutes les autres créatures étaient des
robots dont le fonctionnement était programmé d’avance. Le livre prenait la
forme d'une longue lettre que le Créateur de l'Univers adressait à sa créature
expérimentale. Le Créateur adressait ses félicitations à la créature et
s'excusait auprès d'elle de tout l’inconfort qu’elle avait dû supporter. Le Créateur
l'invitait a un banquet, donné en son honneur à New York, dans l'Empire Room de
l'Hôtel Waldorf Astoria, ou un robot noir, du nom de Sammy Davis Jr, devait
chanter et danser.
La créature expérimentale
n’était pas mise à mort a la fin du banquet ; au contraire, elle était
transférée sur une planète vierge. Des cellules vivantes étaient détachées de
la paume de ses mains, tandis qu'elle était plongée dans l'inconscience. L'opération était complètement indolore. Les
cellules étaient alors transportées sur la planète vierge, pour y être mêlées a
un épais potage marin. Elles évoluaient, au passage des ions énergétiques, en
formes vitales plus complexes. Toutes les formes qui apparaissaient quelles
qu'elles fussent, étaient douées d’un libre arbitre.
Trout n’avait pas donné de
nom particulier à la Créature expérimentale. Il l’avait simplement appelée l’Homme.
Sur la planète vierge,
l'homme s'appelait Adam, et la mer s’appelait Eve.
L'Homme allait fréquemment
se promener au bord de la mer. Il pataugeait parfois dans son Eve. Il y nageait
parfois, mais elle était trop consistante pour permettre une nage vigoureuse. A
la suite de ces baignades, son Adam se sentait tout pâteux et ensommeillé, et
il allait se plonger dans un torrent glacé qui venait justement de jaillir d'une
montagne.
Il poussait un cri strident
en plongeant dans l'eau glacée, et il criait de nouveau en reparaissant à la
surface pour reprendre sa respiration. Il s'ensanglantait les tibias et riait
de ses ecchymoses tout en escaladant des rochers pour sortir de l'eau.
Il suffoquait et riait
encore plus fort, et il songeait à quelque chose de vraiment extraordinaire
qu’il lui serait possible de crier à voix haute. Le Créateur ne pouvait jamais
savoir ce qu’il était susceptible de crier. Le Créateur n'avait sur lui aucun
contrôle. C'était à l'Homme de décider lui-même de ce qu’il allait faire
l’instant d’après - et pour quelle
raison. Un jour, par exemple, après une plongée, l’Homme se mit à crier :
« Du fromage ! »
Une autre fois, il hurla : « Vous
n’aimeriez pas plutôt conduire une Buick? »
Le seul autre animal de
grande taille qui se trouvait sur la planète vierge était un ange qui, de temps
a autre, rendait visite à l'Homme. C'était un messager et un espion du Créateur
de l’Univers. Il revêtait la forme d'un ours brun mâle de quatre cents kilos.
C'était également un robot. De l’avis de Kilgore Trout, le Créateur était, lui
aussi, un robot.
L'ours essayait de trouver
une explication à tout ce que faisait l'Homme. Il demandait, par exemple :
« Pourquoi as-tu crié : Du fromage ! »?
Et l'Homme de lui répondre
en se moquant de lui : « Parce que j'en avais envie, espèce de machine
idiote! »
(…)
Le livre enseignait que, sur
la planète vierge, l’Homme nagerait dans l'eau froide, et que chaque fois qu'il
émergerait de ces eaux glacées, il lui faudrait crier quelque chose de
surprenant. C'était un jeu. Le Créateur de l'Univers essayait de deviner ce que
l’Homme crierait jour après jour. Et, a chaque fois, l’Homme le décevait abominablement.
(…)
Le livre de Trout n'affirmait-il
pas que l’Homme avait déjà été tué vingt-trois fois ; et, à chacune de ces
occasions, le Créateur de l'Univers avait réparé les dommages, et l'avait remis
en route.
(…)
Voici à quoi ressemblait la
pierre tombale de l'Homme, sur la planète vierge, à la fin de l'ouvrage de
Kilgore Trout :
LE CREATEUR
DE L’UNIVERS
NE SAVAIT PAS LUI-MÊME
QUELLE POUVAIT ETRE
LA PROCHAINE PAROLE
DE L'HOMME.
L’HOMME ETAIT PEUT-ETRE
DANS SON ENFANCE
UN MONDE MEILLEUR.
(…)
« Cher Monsieur -- bon monsieur, pauvre monsieur - vous êtes le sujet d’une expérience tentée par le Créateur de l'Univers. Vous êtes la seule personne au monde qui soit douée du libre arbitre. Vous êtes la seule qui sache qu'elle peut choisir ce qu'elle fera l'instant d'après - et pourquoi. Les autres ne sont que machines et robots.
Il y a autour de vous des personnes qui paraissent vous aimer et d’autres qui paraissent vous haïr, et vous vous demandez pourquoi. Ce sont simplement des machines aimantes et des machines haïssantes.
Vous êtes démoralisé, comment ne le seriez-vous pas ? C'est évidemment une chose éreintante que d'avoir sans cesse a raisonner dans un univers qui n’a jamais été fait pour être raisonnable. »
« Vous êtes environné de machines aimantes, de machines haïssantes, de machines cupides, de machines généreuses, de machines courageuses, de machines peureuses, de machines solennelles. Leur seul but est de vous exciter et de vous émouvoir de toutes les façons imaginables, afin que le Créateur de l’Univers puisse observer vos réactions. Ces machines ne sont pas plus capables de sentir ou de raisonner que les bonnes vieilles montres de l’ancien temps,Le Créateur de l'Univers désire vous faire des excuses, non seulement pour le parcours capricieux qu’il vous a imposé au cours de l'expérience, mais encore pour la puanteur et les ordures de la planète elle-même qu’il vous incombait d'habiter. Le Créateur avait prévu que des robots allaient abuser d'elle pendant des millions d'années, de sorte qu`au moment de votre arrivée elle ressemblerait fort a un fromage puant et infesté de vers. Il avait prévu également qu'elle allait être encombrée de robots qui s'efforceraient désespérément, quels que soient leur état et leur condition, d’avoir entre eux des rapports sexuels, et, peut-être plus que tout encore, d'adorer les enfants. »« Il a également mis au point des robots qui peuvent écrire a votre place des livres, et des articles de revues et de radio, des pièces de théâtre et des films, quand ils n'écriraient pas tout simplement des chansons. Le Créateur de l'Univers leur a fait inventer des centaines de religions, afin que vous puissiez choisir parmi elles en toute liberté. Il les a fait s'entre-tuer par millions, uniquement pour que vous en soyez frappé de stupeur. Ils ont commis les pires atrocités et les plus extraordinaires bonnes actions, sans y songer, automatiquement, inévitablement, uniquement pour provoquer quelque réaction en V-O-U-S. »Ce dernier mot était imprimé en très gros caractères, sur toute la largeur d'une ligne, de sorte qu'il apparaissait ainsi :
« Chaque fois que vous entrez dans une bibliothèque, le Créateur de l’Univers retient son souffle. Face à une pareille pagaille culturelle, étalée en vrac, vous et votre magnifique liberté, qu'est-ce que vous allez donc choisir ? `
Vos parents étaient des machines combattantes et des machines qui s'apitoyaient sur leur sort. Votre mère avait été programmée pour reprocher sans cesse a votre père d'être une machine à sous détraquée, et votre père avait été programme pour reprocher à sa femme d’être une machine ménagère hors d'état de fonctionner. Ils avaient été programmés tous deux pour s’accuser réciproquement d’être des machines a faire l'amour défectueuses.
De plus votre père avait été programmé pour quitter la maison en claquant la porte, ce qui, automatiquement, transformait votre mère en machine larmoyante. Et votre père allait s'attabler dans un bistrot, pour s'y saouler en compagnie d'autres machines biberonnantes ; ensuite, toutes les machines titubantes s’en allaient ensemble au bordel afin d'y louer des machines à baiser. Ensuite, votre père retournait péniblement à la maison, pour se transformer en pitoyable machine à excuses. Et votre mère mettait beaucoup trop longtemps à devenir une machine pardonnante. »
A noter :
Si l'on devait comparer "Le breakfast du champion" de Kurt Vonnegut à un oignon constitué de plusieurs couches, "Maintenant on peut le dire" en serait le coeur, le germe, le propos principal. Poursuivant sa démonstration entamée avec "La peste sur roues" sur la "toxicité" des idées (je place ce terme entre guillemets pour éviter des amalgames scientologiques malheureux...), Vonnegut nous raconte dans "Le breakfast..." comment un être humain du nom de Dwayne Hoover, concessionnaire automobile déjà fragile psychologiquement, va voir les dernières digues de sa psyché s'effondrer après la lecture de l'ouvrage de Trout - persuadé qu'il est que ce livre lui est en fait destiné par le créateur, et que l'ensemble des êtres humains qui l'entourent ne sont en fait que des machines.
N'ayant plus assez d'équilibre mental pour refouler des pulsions meurtrières nourries par des années de frustration, Dwayne Hoover devient un psychopathe bien décidé à profiter du parc d'attraction peuplé de robots qu'est devenu à ses yeux le monde.
Vonnegut pose la question de la responsabilité de l'auteur de fiction devant son lectorat. Voyons ce qu'il en dit, à l'aune de son "alter-égo" Kilgore Trout :
"Trout ne s'attendait pas à ce que qui que ce soit puisse le croire. Il avait mis ses mauvaises idées dans un roman de science-fiction, et c'est là que Dwayne vînt les trouver. Le livre n'était pas destiné au seul Dwayne. Trout n'avait jamais entendu parler de Dwayne au moment où il l'avait écrit. Le destinataire pouvait être n'importe quel lecteur qui ouvrirait l'ouvrage. En effet, il disait simplement : "Hé, regarde - tu es la seule créature à avoir un libre-arbitre. Qu'est-ce que tu penses de ça ?" Et ainsi de suite. C'était un tour de force. C'était un jeu d'esprit. (en français dans le texte).
Mais pour Dwayne, c'était un poison mental.
Trout reçut un choc, en constatant que même quelqu'un d'aussi insignifiant que lui pouvait répandre le mal dans le monde, sous la forme de mauvaises idées. Et lorsque Dwayne eut été conduit à un asile d'aliénés, avec la camisole de force, Trout devint fanatiquement persuadé de l'importance que pouvaient avoir les idées, en tant que causes ou en tant que remèdes des maladies.
Mais personne ne voulait l'écouter. Il n'était qu'un vieillard crasseux qui criait dans le désert, dans les arbres et dans les broussailles : "Les idées ou l'absence d'idées sont des causes de maladies."
Si l'on devait comparer "Le breakfast du champion" de Kurt Vonnegut à un oignon constitué de plusieurs couches, "Maintenant on peut le dire" en serait le coeur, le germe, le propos principal. Poursuivant sa démonstration entamée avec "La peste sur roues" sur la "toxicité" des idées (je place ce terme entre guillemets pour éviter des amalgames scientologiques malheureux...), Vonnegut nous raconte dans "Le breakfast..." comment un être humain du nom de Dwayne Hoover, concessionnaire automobile déjà fragile psychologiquement, va voir les dernières digues de sa psyché s'effondrer après la lecture de l'ouvrage de Trout - persuadé qu'il est que ce livre lui est en fait destiné par le créateur, et que l'ensemble des êtres humains qui l'entourent ne sont en fait que des machines.
N'ayant plus assez d'équilibre mental pour refouler des pulsions meurtrières nourries par des années de frustration, Dwayne Hoover devient un psychopathe bien décidé à profiter du parc d'attraction peuplé de robots qu'est devenu à ses yeux le monde.
Vonnegut pose la question de la responsabilité de l'auteur de fiction devant son lectorat. Voyons ce qu'il en dit, à l'aune de son "alter-égo" Kilgore Trout :
"Trout ne s'attendait pas à ce que qui que ce soit puisse le croire. Il avait mis ses mauvaises idées dans un roman de science-fiction, et c'est là que Dwayne vînt les trouver. Le livre n'était pas destiné au seul Dwayne. Trout n'avait jamais entendu parler de Dwayne au moment où il l'avait écrit. Le destinataire pouvait être n'importe quel lecteur qui ouvrirait l'ouvrage. En effet, il disait simplement : "Hé, regarde - tu es la seule créature à avoir un libre-arbitre. Qu'est-ce que tu penses de ça ?" Et ainsi de suite. C'était un tour de force. C'était un jeu d'esprit. (en français dans le texte).
Mais pour Dwayne, c'était un poison mental.
Trout reçut un choc, en constatant que même quelqu'un d'aussi insignifiant que lui pouvait répandre le mal dans le monde, sous la forme de mauvaises idées. Et lorsque Dwayne eut été conduit à un asile d'aliénés, avec la camisole de force, Trout devint fanatiquement persuadé de l'importance que pouvaient avoir les idées, en tant que causes ou en tant que remèdes des maladies.
Mais personne ne voulait l'écouter. Il n'était qu'un vieillard crasseux qui criait dans le désert, dans les arbres et dans les broussailles : "Les idées ou l'absence d'idées sont des causes de maladies."
Kurt VONNEGUT, Jr. – Le breakfast du champion (Editions J'ai Lu, pp.25-26 ; traduction : Guy Durand)
Dans un autre registre, on pourra trouver deux tentatives d'"inédition" de "Now it can be told", pas toujours très fidèle à la description qu'en fait le roman de Vonnegut que voici :
« La couverture de « Maintenant on peut le dire » promettaient une foule de castors bouche ouverte à l’intérieur. L’image figurant sur « Maintenant on peut le dire » représentait un professeur d'université qui était en train de se faire dévêtir par un groupe de jeunes novices complètement nues. Une des fenêtres du couvent laissait apercevoir la tour d'une bibliothèque. A l’extérieur, il faisait grand jour, et sur la tour on pouvait voir une horloge. L'horloge avait cette apparence :
Dans un autre registre, on pourra trouver deux tentatives d'"inédition" de "Now it can be told", pas toujours très fidèle à la description qu'en fait le roman de Vonnegut que voici :
« La couverture de « Maintenant on peut le dire » promettaient une foule de castors bouche ouverte à l’intérieur. L’image figurant sur « Maintenant on peut le dire » représentait un professeur d'université qui était en train de se faire dévêtir par un groupe de jeunes novices complètement nues. Une des fenêtres du couvent laissait apercevoir la tour d'une bibliothèque. A l’extérieur, il faisait grand jour, et sur la tour on pouvait voir une horloge. L'horloge avait cette apparence :
Le professeur n'avait plus sur Iui que son petit caleçon court à rayures, ses chaussettes et ses fixe-chaussettes, et sa calotte de prof. Cette calotte est une sorte de couvre-chef, comme ceci :
Nulle part, dans le corps de l’ouvrage, il n’était question d'un professeur d'un couvent quelconque ou d’une université. Tout le livre était fait d'une longue lettre du Créateur de |'Univers et adressée à l'unique créature qui, dans l'Univers, fût dotée d'un libre arbitre. »
Une version de "Now it can be told" telle qu'apparaissant dans le film d'Allan Rudolph "Breakfast of champions" (1999). De dos, Kilgore Trout interprété par Albert Finney. |
Une version plus ancienne du même ouvrage, dans un excellent documentaire sur Kurt Vonnegut diffusé en 1983 (ARENA, émission de la BBC) |
L'émission proprement dite, Arena, BBC - 1983
(Réalisation: Nigel Finch)
où nous pouvons découvrir Kilgore Trout
en quête de ses propres ouvrages (à 02:24) ...
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